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On est en 2006, et alors que la transposition de Bâle II dans les législations nationales est encore en cours dans les pays industrialisés, une crise immobilière de grande ampleur débute aux États-Unis. Cette année 2006 est marquée par une chute des transactions ainsi qu’une érosion des prix de ventes des biens qui entraine une correction à la baisse de la valorisation des actifs immobiliers. Auparavant et cela depuis le milieu des années 90, le pays avait profité d'une situation économique favorable, avec une forte confiance des ménages et une hausse démesurée des prix immobiliers. Pour Edward L. Glaeser, les causes sont de deux types : l’irrationalité des agents nourris par des anticipations de hausses et les coûts de transactions élevées du marché immobilier qui jouent en défaveur d’un ajustement des prix. La correction sur les prix débute en 2006 et entraine avec elle ce qu’on appellera la crise des subprimes. Les « subprimes loans» sont au départ conçus pour permettre aux ménages à risque de défaut élevé d’accéder au marché du crédit via les prêts hypothécaires. Aux États-Unis des établissements de crédit peu "regardants" ne vont pas hésiter à proposer des crédits complexes, appelé « adjustable rate mortage » à des conditions souvent désavantageuses à une population souvent pauvre en manque d’information. En effet, les prêts hypothécaires à taux variable sont susceptibles de faire subir un cout élevé non anticipé aux ménages du fait de leur durée qui peut dépasser 3 décennies. Ces établissements de crédit lorsqu’elles fournissent des prêts subprimes bénéficient d’une surprime par rapport à un prêt ordinaire « prime lending » et elles sont assurés de se rembourser sur le prix de vente du collatéral en cas de défaut de paiement. Le succès est tel que ces prêts subprimes qui ne représentaient encore que 2.4% des crédits en 1998, représentent 40% des nouveaux prêts immobiliers en 2007. Le risque crédit pris individuellement sur ces créances est conséquent, mais pris pour l’ensemble du système le risque est faible. Du moins, c’est ce que la majorité des acteurs s’accordent à dire dans un premier temps.
"During the lending boom, the industry developed products that were extremely risky that were pushed by everybody up and down the food chain. We forgot about our customers, and making money and our commission checks were more important" John Robbins, Former chairman of the US Mortgage Bankers Association (2008)
Le mécanisme de propagation de ces créances "toxiques" à l’économie est complexe. Dans un premier temps les portefeuilles de prêts hypothécaires sont repris par les monolines et regroupés suivant leur risque inhérent (probabilités de défaut) afin d’en faciliter l’évaluation du risque. Ils sont ensuite assemblés pour former des actifs sur le marché secondaire appelé mortgage-backed security (MBS). C’est la base de la titrisation qui vise à transformer des actifs peu liquides en titres parfaitement liquides. Des établissements de crédit reprennent les MBS via des structures ad hoc appelées « Spécial purpose Vehicle » et ensuite les réinjectent dans l’économie sous forme de CDO [collateralised debt obligation].
Ces produits ne vont pas se retrouver par hasard dans l’économie mondiale ; pour Greenspan (2010), les rendements élevés sur les CDO et la baisse des saisies immobilières depuis 2001 est une des causes qui favorise une forte demande en provenance notamment d’Europe pour acquérir des CDO. L'appétit des acteurs européens est tel que la moitié de ces actifs toxiques sont détenus par des entités européennes.
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credit photo: Federal Reserve - US Government work licence |
"The firms [banks] clearly had found receptive buyer." Alan Greenspan (2010)
L’opération est tellement complexe et opaque, qu'elle ne permet pas aux différents acteurs de savoir précisément le risque sur les produits détenus. L’effet recherché est la dispersion du risque et surtout de sortir des actifs peu liquides de leurs bilans pour rester conformes au ratio de solvabilité bancaire et autre norme règlementaires établis par les régulateurs bancaires. Comme on le voit, la prise de risque dans le secteur bancaire est conséquente, et elle est dans la continuité du climat de dérèglementation et d’innovation financière qui avait débuté début 2000.
Fin 2006 le nombre de saisies immobilières dépasse le million et les pertes pour les subprimes lenders sont considérables. Les rehausseurs de crédits [monolines] qui fournissent des garanties sur des actifs titrisés composés de valeurs immobilières sont obligés d’imputer des dépréciations d’actifs dans leurs bilans. En fait, la crise de confiance est telle que toutes les catégories d’actifs adossés à des valeurs immobilières deviennent rapidement invendables. La chute de ces rehausseurs de crédits comme la FSA va entrainer, avec elle celles de différentes banques. En effet, le risque de contrepartie pour les banques s'alourdit fortement une fois que les agences de notations dégradent les notes des monolines.
La contagion internationale de la crise débute en septembre 2008 par la faillite de la 4e plus grande banque d’investissement «Lehmann Brothers ». Cette faillite est suivie par un climat de frayeur sur la santé financière des autres institutions du secteur bancaire. La méfiance collective et le climat d’incertitude global font que les banques préfèrent réduire fortement les prêts interbancaires: le système de compensation s’effrite et les banques à court de liquidités sont obligés de rationner leurs prêts aux entreprises, voire de vendre au même moment leurs actifs sains, ce qui en réduit d’autant leurs prix et participe à la dégringolade des marchés. Le rationnement du crédit affecte négativement le financement des projets des entreprises, ce qui réduit considérablement l’activité économique et nourrit d’autant plus la crise.
En Europe face à la crise la BCE réagit très rapidement en proposant des injections de liquidités. Les principales banques centrales baissent leurs taux et se substituent au marché interbancaire, en tant que « prêteurs de dernier recours ». Elles rachètent aussi des institutions en difficultés dont la faillite aurait un effet procyclique sur la crise. On a aussi des mesures “non conventionnelles” pour stabiliser le système financier: pour exemple, la promesse explicite de tenir le taux directeur à un niveau bas pendant une durée prolongée pour réduire l’incertitude.
Ces mesures prises dans l'urgence visaient à limiter l'impact de la crise, si leur efficacité est encore sujette à débat parmi les spécialistes il est indéniable que le système devait être réformé en profondeur. Dans les prochains articles nous verrons les pistes de réflexions engagées, en attendant n'hésitez pas commenter et pour en savoir plus; vous pouvez lire :
- GLAESER E. L., (2008), « Housing Supply and Housing Bubbles », NBER Working PaperNo.14193 Cambridge, Massachusetts: National Bureau of Economic Research
- ALAN GREENSPAN, The Crisis [with Comments and Discussion] Brookings Papers on Economic Activity, (SPRING 2010), pp. 201-261 The Brookings Institution